lundi 11 octobre 2010

Cabanel, la perfection de la chair

Alexandre Cabanel, la Naissance de Vénus, salon de 1863, musée d'Orsay

We dans le sud, et bien sûr, en bonne "dixneuvièmiste" que je suis, je cours au musée Fabre de Montpellier voir l'expo sur Cabanel, peintre académique de la seconde moitié du XIXe siècle.

D'abord, un mot sur le musée Fabre : c'est une belle réussite. Les salles modernes et leur béton brut (un peu froid ?) s'allient bien avec les salles anciennes et avec la façade de pierre rosée de la région. Un bel espace et une belle rénovation.

En 1863, au salon, Alexandre Cabanel présente sa Vénus, clou de l'exposition, qui suscite pour certains l'admiration, pour d'autre le dégoût et la critique. Zola en parle quelques années plus tard comme d'une "sorte de pâte d'amande rose et blanche", tandis que Théophile Gautier, inspiré, écrit dans un journal : "son corps divin semble pétri avec l'écume neigeuse des vagues".
Quant à Napoléon III, il la trouve tellement belle, cette Vénus sensuelle, voire sexuelle, qu'il l'achète presque instantanément.

Mais il faut savoir qu'au même moment que le salon, cette exposition officielle de l'art académique, se déroulait le "Salon des Refusés", après les protestations des artistes plus modernes qui n'avaient pas été acceptés au salon. Napoléon III, dans un geste de bonté ironique, ouvre alors un salon parallèle, qui a à la fois pour but de montrer son ouverture d'esprit, et de laisser les peintres nouveaux se ridiculiser tous seuls, comme des grands...
C'est alors que le jeune Manet, peintre aux dents longues qui souhaitait se faire entendre, présente le Déjeuner sur l'herbe, œuvre qui choqua les partisans de Cabanel, et qui enchanta ses opposants.
Le XIXe siècle, où la contradiction permanente.

Cabanel est l'image parfaite de l'artiste académique : il fait ses études aux Beaux-Arts, remporte le Prix de Rome, part étudier à la Villa Médicis, et devient vite la coqueluche du tout-Paris.

Albaydé, d'après les Orientales de Victor Hugo, 1848, musée Fabre.

Talent à plusieurs facettes, il est décorateur, portraitiste, et bien sûr, peintre d'histoire.
Ses portraits de femmes montrent une perfection d'exécution assez époustouflante, et n'ont pas la froideur qu'on pourrait leur attribuer. Ses femmes ont toujours une étrangeté, une énigme dans le regard qui les rend différentes, uniques.
Ici, une jeune romaine a posé en Albaydé, et elle a comme toutes les autres, un mystère indicible, une aura de femme fatale qui inspira plus tard les symbolistes.

Cléopâtre teste des poisons sur des prisonniers à mort, 1887, Anvers.

Vers la fin de sa vie, il peint l'ultime femme fatale, cruelle, amoureuse, puissante, magnifique, la Cléopâtre de 1887. Toujours la perfection de la chair, du coup de pinceau, mais s'y ajoute comme une inquiétude sourde, une évocation de la douleur et la cruauté, que plus tard Böcklin et d'autres sentiront comme fondamentale.

L'exposition est complète, riche en textes, et constituée d'œuvres venues de loin, pour les plus grand bonheur de ceux qui n'auront pas l'occasion d'aller les voir aux États-Unis par exemple. Muséographie classique, mais franchement colorée, agréable et lisible, tout est fait pour mettre en valeur, et surtout remettre à l'honneur un peintre qui certes n'eut pas la puissance d'innovation des impressionnistes ou l'audace de Manet, mais qui fut à l'époque un roi parmi les rois.
Avec l'exposition sur Jérôme au musée d'Orsay, le monde des conservateurs tente de réhabiliter les artistes académiques. Leur valeur n'est pas à démontrer, mais pour moi, qui ai mis un De Stael en entête de mon blog, il manque à ces artistes une liberté, une passion qu'on peut trouver ailleurs...

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