dimanche 27 décembre 2009

A VOIR ABSOLUMENT !


De la puissance...
De la puissance d'un texte, incarné par un grand acteur.

Beckett, "Premier Amour", 1945. Dit par Sami Frey au théâtre de l'Atelier à Montmartre.

C'est l'histoire d'un type. Un drôle de type, c'est le moins qu'on puisse dire. Qui se fait virer de chez ses parents à la mort de son père, et se met à traîner. Il traîne, il dort dehors, dans un monde indéfini, sans aucun nom de ville.

Puis une fille se pointe sur son banc. Ça le gêne, mais il finit par penser à elle. Il écrit même son nom, Lulu, sur des bouses de vache avec son doigt (sic). Puis après quelques rencontres, il s'installe chez elle, enfermé dans une pièce de son appartement, et elle lui apporte à manger. Et quand leur bébé, résultat d'une unique nuit d'amour, naît, il s'en va. Les cris le gênent... Et il repart traîner.
Sami Frey est le personnage. Il est cet homme qui traîne.
Il est enroulé dans un vieil imper, et il est le type. On sent en lui la nonchalance, mieux, le désintérêt complet de cet homme pour le monde. Sa voix, son corps, son visage, son inexpressivité, tout ça, c'est du Beckett incarné. Monde étrange.

Le texte est incroyable. Dur, tranchant, misogyne, misanthrope, visionnaire, politiquement incorrect. Et drôle. Vraiment drôle, mais sombrement drôle.
Au delà de sa constipation et de son goût pour les cimetières, qui sentent bon les corps en décomposition, (et il trouve quand même que c'est mieux comme odeur que celle des vivants, qui puent), c'est le décalage du type, qu'il soit si perdu, si impossible, qui fait rire.

Florilège : "Le tort qu'on a, c'est d'adresser la parole aux gens".
"Ce qu'on appelle l'amour, c'est l'exil".
Je vais le relire pour embrasser encore mieux la puissance de la chose.

Beckett par Sami Frey, c'est la quintessence. La quintessence de l'absurde et du cruel, du surréaliste et du vrai. Du vrai de l'homme, animal solitaire au fond.

Un moment fort. Allez-y vite !!

lundi 14 décembre 2009

Albert Oehlen, FM 18, 230*270cm
Albert Oehlen, FM 19, 230*270cm

Albert Oehlen, FM 16, 230*270cm.

Une si belle découverte...

Vendredi dernier, j'ai bravé le mauvais temps pour aller voir l'exposition sur Albert Oehlen au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, qui dure jusqu'au 3 janvier.

Je ne parlerai que peu ici de l'exposition en elle-même, qui s'intitule "Réalité abstraite". Elle a été organisée en étroite collaboration avec l'artiste. Le propos est de mettre face à face des œuvres des années 1880-1890 et des œuvres de 2008.

Les premières œuvres sont très denses, lourdement colorées. Elles ont une grande présence. On rapprochait alors Oehlen du mouvement punk ou de Pollock car il faisait de l'action painting et du dripping (faire goutter de la peinture sur la toile ou la projeter). Je n'ai pas d'images mais ce sont des œuvres puissantes, presque aveuglantes. On sent une certaine violence, et la brutalité avec laquelle sont appliquées les couleurs ne fait que renforcer cette impression. Les toiles sont des sources de vie intenses.

Les œuvres de 2008 sont différentes, mais on sent bien le lien avec les précédentes, le chemin qu'a suivi le peintre, vers une pureté plus grande. Il exprime l'idée de ne vouloir représenter que ce qu'il trouve "merveilleux". Il dit essayer de "manier les couleurs avec soin".

Le résultat est fascinant (je mets mes 3 toiles préférées au dessus). Alors qu'avant les œuvres regorgeaient de couleurs, qui semblaient presque déborder de la toile, on voit maintenant beaucoup du fond blanc.
Les couleurs sont comme des flux, des dynamiques. Elles traversent l'œuvre, elles ralentissent parfois, s'accélèrent, deviennent floues, se mêlent, s'évanouissent...
Ce sont des couleurs à la fois douces et puissantes. On y trouve les harmonies les plus inattendues. Quand je me suis approchée, j'ai souri, j'ai aimé.

On trouve, parsemés dans les œuvres, des morceaux d'affiches ou de publicité. Petits bouts de réalité dans le monde de l'artiste, auxquels on se raccroche, mais la réalité est vite entraînée par la couleur et ses courants.
On sent dans ces toiles un flux continu d'inspiration, comme si le peintre était physiquement guidé par ses émotions. Liberté et beauté du geste.

L'œuvre ci-dessous était aussi dans l'expo, et elle a, je trouve, une fraîcheur et une légèreté incroyables.
J'ai fait une très belle découverte en allant à cette expo, j'en garde un souvenir presque ému, et je crois bien que je vais y retourner, et regarder les toiles encore plus longtemps que la première fois...
Albert Oehlen, titre manquant, 2008.

Bref, je vous recommande chaudement d'aller faire un tour au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, qui par ailleurs est un très beau musée, sous-estimé par le public, et de vous faire un petit plaisir d'avant Noël en allant faire le plein de couleurs, d'abstraction et de poésie contemporaine !

PAS CONTENTE !

Longue interruption depuis mon dernier post...
Cette année, je manquerai de temps pour écrire sur mon blog, et je m'en excuse.
Mais je reviens aujourd'hui !
Avec un billet d'humeur... comme mon titre l'indique.

Je suis allée voir dimanche dernier l'exposition du musée Marmottan intitulée "Fauves et expressionnistes dans la collection du musée Von der Heydt à Wuppertal".
Le principe est simple. Wuppertal est une ville qui bénéficia des dons abondants de la famille Von der Heydt, qui était très proche de nombreux artistes d'avant-garde du début du XXe siècle, comme ceux de "die Brücke", du "Blau Reiter", les fauves français, puis les expressionnistes allemands après la Première Guerre Mondiale.
Et le musée Marmottan expose une sélection de ces œuvres.

La sélection est belle. Quelques chefs-d’œuvre, selon mon humble avis, comme ce petit Kandinsky, les rues de Munich.

Kandinsky, Maisons à Munich, 1908, musée Von der Heyt, Wuppertal

August Macke, Paysage avec trois jeunes filles, 1911, musée Von der Heydt, Wuppertal.

Je ne mets ici que deux reproductions, mais de nombreux tableaux sont de très bonne qualité et illustrent bien, pour un connaisseur de la période, les influences, la modernité et les évolutions de ces artistes modernes.

Mais c'est bien là qu'est l'os, si je peux me permettre. En terme d'explications, on ne trouve que deux panneaux dans l'exposition : l'un expliquant l'histoire du musée Von der Heydt, et l'autre le thème de l'exposition. Je ne me rappelle pas la formulation précise, mais le principe de l'exposition est de montrer le fil qui relie les différents courants que j'ai cités plus haut. Bon. Cela me semble être un bon programme. Et effectivement, l'ensemble d'œuvres serait un terrain parfait pour montrer les différences et les influences entre groupes et artistes.

Mais une fois passés ces deux panneaux, plus rien. Le musée s'est contenté d'exposer les œuvres les unes après les autres, dans un ordre qui semble pouvoir être remis en cause, sans expliquer en aucune façon quelle est la différence entre "die Brücke" et le "Blau Reiter", ou quelles sont les origines du mouvement expressionniste.

Les œuvres se suivent, ne se ressemblent certes pas, mais un simple visiteur, non spécialiste du début du XXe siècle en Allemagne (je m'inclue dans cette définition) a beaucoup (trop) de mal à comprendre quoi est quoi, quoi vient d'où et pourquoi.

Ce qui est scandaleux. Depuis quand faire une exposition temporaire se réduit-il à un accrochage ? Où est la réflexion ? Où est la pédagogie ? Où est le guidage du néophyte parmi des œuvres certes belles mais tout de même déjà complexes ? Où est le propos ?

Si vous voulez comprendre, il vous faudra, en plus des 9 euros du ticket d'entrée, acheter pour 29 euros le catalogue, et là tout est expliqué. A nouveau une question : depuis quand faut-il acheter un catalogue pour comprendre une exposition ? Pour approfondir certes, mais pas pour comprendre...

Comme je l'ai dit dans mon titre, je ne suis pas contente. Et là, je me retiens, je ne rentre pas dans les détails. Je suis déçue. Car comme je l'ai dit, les œuvres sont belles, difficiles, riches de sens et de nouveauté. Il faut aller les voir, car elles ne seront pas visibles de sitôt en France après cette expo. Mais l'absence complète d'idée, de concept, m'a gâché mon plaisir.

Pour retrouver ma sérénité, je me tourne vers Kandinsky, Macke, et Erbslöh. Je respire, je me remplis de leurs couleurs puissantes, encore plus belles en vrai, et, doucement mais sûrement, je souris de plaisir.

Adolf Erbslöh, Jeune fille à la jupe rouge, 1910, musée Von der Heydt, Wuppertal

dimanche 19 juillet 2009

Où je vais à mon premier défilé de mode...

Vendredi, j'ai une place au premier rang du défilé de Giles Deacon qui se déroule au Victoria and Albert Museum, dans la grande salle ou sont accrochés les cartons de Raphael. Joli cadre...
Giles Deacon est un jeune fashion designer, sorti de Saint Martins en 1992. Il a commencé aux côtés de Jean-Charles de Castelbajac, et il a travaillé pour Bottega Veneta et Gucci. En 2004, il lance sa marque, "Giles".
Le défilé du V&A était une rétrospective de ses pièces préférées des cinq dernières années.

Le noir se fait dans la salle, la musique est mise à fond, puis dans un rythme souvent assez endiablé, les "models" commencent à défiler.
J'ai vu des belles choses, élégantes, féminines, avec de jolies matières, fluides ou épaisses, des formes souples ou structurées, de beaux imprimés, et surtout des vêtements portables...
Quant au reste... Les mannequins elles-mêmes étaient des preuves vivantes de jusqu'où la mode va dans ses paradoxes. Elles ne pouvaient ni marcher dans leurs chaussures à talons démesurément hautes, ni marcher dans leurs robes sans se casser la figure (3 ont vraiment failli) en se prenant les pieds dedans, elles sont gênées par les piques qui sortent de certains vêtements et j'en passe.
Que dire ? Sinon que d'après ce que j'avais compris, la mode doit se porter, c'est sa définition même.
Dans un même défilé, on voit du beau, du sexy, de l'élégant, du moderne, du classique revisité, de la classe, du charme, du rêve, mais aussi du laid, du rigide, de l'importable, du ridicule, même du grotesque !
Et oui, j'ai vu l'oeuf noir avec des poils dont je mets la photo en dessous. Et certaines filles ont un casque sur la tête... Il y a certainement une idée derrière, un sens que mon oeil de néophyte ne sait pas voir, ni comprendre, mais je reste persuadée que je ne suis pas la seule.
Quant aux mannequins, elles sont très jeunes, horriblement maquillées, souvent maigrissimes. Elles ne vendent pas du rêve, elles sont un dur retour à la réalité : la mode est un monde non seulement impitoyable, comme le dit la légende, mais aussi étrange, et complètement déconnecté de toute réalité. Les mannequins ne sont pas belles (à part peut être quelques exceptions, et même une belle métisse qui a souri, Oh stupeur !!!). Elles "font la gueule", véritablement.
Quel est le sens de tout ça ? La mode devrait être le beau, dans ses créations, son esprit, et ses représentantes. Elle devrait être une célébration de la femme. Mais elle esclavagise la femme, sans pour autant la magnifier. "Il faut souffrir pour être belle" ne s'applique pas ici !
Peut être le nouveau beau dans la mode est-il justement le laid, la remise en question de tous les "principes" de beauté féminins, tels qu'ils existent depuis toujours. Faut-il comprendre : "portons du laid, et remettons ainsi en cause les diktats qui nous forcent à être toutes parfaites" ?
Mais alors, pourquoi les mannequins ne sont-elles pas rondes ?
J'ai beaucoup aimé cette belle première expérience de la mode, avoir un "glimpse" du glamour, et découvrir un morceau de ce monde m'a beaucoup intéressé. Mais mon premier contact m'a laissée perplexe et je me pose beaucoup de questions... Des réponses à me proposer ?


Story of a perfect and rainy day


Waddesdon Manor, le 19 juillet 2009.

Enchantement…

Waddesdon est une source d’infinis plaisirs…

Les scones moelleux recouverts de triple crème, comme dit Mr Leben.
La compagnie cultivée, passionnante et charmante du même Mr Leben, conservateur du château.
La visite du château, longue et excitante, où à chaque porte qui s’ouvre le cœur bat plus vite de savoir ce qu’il y a derrière.
De voir des meubles de Marie-Antoinette, de toucher des vases, des tissus.
La découverte d’une collection incroyablement riche, où Guardi, Riesener, Leleu, Watteau, Pater, Lancret, Greuze, Dubois, Benneman se multiplient dans chaque pièce.
Carlin, la délicatesse de la porcelaine de Sèvres et la pureté du bois de rose.
Mme de Polignac, charmante peinte par Vigée Lebrun.
Les détails drôles montrés avec humour par Mr Leben.
Les écuries, jolies comme tout, où l’on trouve de l’art contemporain.
La totale perfection des jardins, qui sont l’incarnation parfaite de l’accord possible entre l’homme et la nature, l’équilibre délicat entre nature et culture, la sublime adéquation entre artificiel et naturel.
La promenade sous la pluie, le cœur qui bat à chaque tournant de découvrir une nouvelle vue, un bel arbre, une perspective, une prairie verte comme un rubis mouillé, parsemée d’arbres centenaires, nobles et puissants, qui donnent un sens au monde, au temps, qui sont une permanence dans nos vies.
Le sentiment de paix, d’adéquation, être là où on doit être et en profiter chaque seconde qui passe.
L’élégance chantournée de la volière rocaille.
Les douces ondulations vertes des collines du parc.
L’impression d’être Elisabeth Bennett marchant dans les allées de Pemberley.
La gentillesse des gens qui travaillent au château, qui me félicitent quand Mr Leben dit que je suis en stage au V&A.
La beauté de la campagne anglaise.
La fraîcheur des gouttes de pluie sur mon visage quand je marche dans les allées.
Mes courses pour m’abriter des trombes d’eau qui tombent.
Mon Closer qui me sert de parapluie.
Mes cachettes sous des pins en attendant Mr Ali le taxi sous la pluie.
Ecouter le bruit de la pluie.
Sentir l’odeur de la nature mouillée (la mienne aussi, chien mouillé…)
La course folle de dizaines de lapins dans un champ éclairé de soleil couchant dans le train du retour.
L’envie de continuer à découvrir ce pays intriguant, où tant de beauté existe, et qui reste si beau sous un ciel gris, mystère…
To be continued
!

lundi 11 mai 2009

Découvrir To Be Still d'Alela Diane

To Be Still, album d'Alela Diane.

Je crois bien que c'est la première fois que j'écris sur un album qui vient de sortir. C'est parce que j'estime que je n'ai pas ce qu'il faut pour parler de la musique actuelle... Je peux bien donner mon avis sur une interprétation de La Mer de Debussy, et j'ai quelques bases en musique classique, mais je ne sais pas voir dans une chanson récente les influences et les antécédents... Je crois même que je manque d'une culture musicale de base en matière de musique contemporaine.
Ceci dit, ça ne m'empêche pas d'avoir des coups de coeur, et je voudrais aujourd'hui dire deux mots du nouvel album d'Alela Diane, nouvelle icône folk de l'Amérique.
J'ai entendu pour la première fois la voix envoûtante de cette chanteuse en juin 2008, avec l'album The Pirate's Gospel, alors que son succès en France commençait à peine...
J'ai aimé la mélancolie de ses ballades, la profondeur de sa voix, la douceur de ses mélancolies. A écouter : "My Tired Feet", et "The Rifle" par exemple. Sobriété parfaite.
To Be Still est sorti il y a peu, et je n'ai pas regretté de l'avoir acheté.
Mais c'est un album qu'il ne faut pas écouter une seule fois. Il faut se plonger un peu dedans, et à force de l'écouter, les chansons prennent forme, on s'y attache, pour finalement ne plus pouvoir s'en détacher.
Ici, moins de mélancolie et de spleen, c'est moins intimiste mais il y a toujours une atmosphère douce, poétique, hors du temps, magique...
Je vous conseille particulièrement "White as Diamonds" et "My Brambles".
Une belle parenthèse de légèreté, d'humanité, et de quiétude, comme le titre l'indique. A savourer !

Le charme suranné d'une vieille comédie musicale américaine

Le grand Gene Kelly dans An American in Paris
Hier dimanche, jour de pluie et de flemme : je regarde The Band Wagon, ou Tous en scène en version française. Autrement dit, un chef d'oeuvre de Vicente Minelli avec Fred Astair et Cyd Charrisse.
J'ai grandi avec Singing in the rain et An American in Paris, alors pour moi ces comédies musicales ont le charme et la douceur de l'enfance...
Gene Kelly est pour moi un idéal masculin, sa façon de danser l'élégance incarnée, et ses chorégraphies des perfections. Il savait chanter, danser, jouer, faire des chorégraphies, faire des claquettes... Qui de nos jours peut en dire autant ??
La musique de Gershwinn dans An American in Paris, je la connais tellement par coeur qu'elle est la musique de fond de mes rêves.
Les décors en papier mâché, les coupures trop visibles, les chansons qui ne sont pas toujours synchrones avec les images... tout ça donne un charme suranné à ces films. Bien sûr, ils ne sont pas parfaits, et pour citer l'un deux, "quand on en a vu un, on les a tous vus". Mais non, rien n'y fait, j'y prends toujours autant de plaisir.
Je trépide de joie quand je regarde Gene Kelly et Georges Guétary dans Singing in the rain qui chantent "'s awful nice" !
J'ai des frissons quand le même Gene et Cyd Charisse dansent de façon incroyablement sexy dans Singing in the rain...
Je ris en écoutant "Fit as fiddle" où Gene et Donald O'Connor font les imbéciles !
Des souvenirs, un plaisir chaque fois renouvelé (malgré les 1300 visionnages), l'élégance des sentiments, des acteurs, de la musique, des histoires... Des ingrédients irremplaçables pour 1h30 de bonheur enfantin !The Band Wagon, Fred Astair et Cyd Charisse

mercredi 6 mai 2009

Du bonheur à Pompidou : Kandinsky parmi nous !

Automne en Bavière, 1908, Centre pompidou.

J'ai mis du temps, mais j'écris enfin sur l'expo Kandinsky à Beaubourg.
Oui, je l'ai vue il y a 2 semaines cette expo, mais j'ai du attendre pour écrire, attendre que son souvenir ne soit plus si aveuglant, et que je puisse être un minimum objective sur ce que j'ai vu...
Le souvenir n'est plus aussi aveuglant. Quant à l'objectivité, hum, il semble bien qu'elle soit impossible, Kandinsky étant un de mes peintres préférés, qui m'a toujours fait sentir des choses incroyables (je deviendrai même voleuse pour avoir un petit bout d'une toile mais chut !)...
D'abord, très belle expo.
Tout est blanc, et les peintures resplendissent dans leur écrin, rien ne dérange la contemplation.
Tout est grand. Il y a de la place pour se reculer, admirer, se reposer l'oeil... L'art y respire. Cette expo a sans doute été prévue pour être un "hit", et la circulation des foules semble possible. Bon point !
Détail déstabilisant et très très réussi : la place des cartels. Ils sont à 2m de haut, au dessus des tableaux ! Ils sont bien lisibles, car écrits en gros, et leur place évite les entassements de personnes tout près d'un tableau : pas besoin de se plier en deux pour lire un écriture minuscule. seul petit défaut : aucune indication sur la technique. Là, mon père me dit que c'est une déformation professionnelle de dire des choses pareilles, mais il a bien du reconnaître que pour des aquarelles, ne pas savoir si le noir est de l'encre ou autre chose, c'est embêtant... Mais il n'en reste pas moins que ce choix muséographique est bon.

Sur Kandinsky, que dire... ?
Les différentes phases de sa création sont clairement montrées. On sent dès les premières toiles que son pinceau et sa couleur le démangent, et qu'il n'attend qu'un signe pour passer aux explosions qu'on lui connaît.
Le plus fascinant chez Kandinsky, ce sont justement ces couleurs. Leur parfaite harmonie, leurs nuances, leurs dégradés... Debout devant une toile comme l'Improvisation 19, de 1911 (Munich), je souris, j'ai le coeur léger, j'entends la musique des couleurs dans ma tête, j'ai envie de rire, de sauter. Poésie et bonheur à l'état pur !
Sa dernière phase, par contre, beaucoup plus géométrique, ne m'a pas beaucoup convaincue. Avec les lignes droites, il perd en fluidité, il gagne en sécheresse, la joie est perdue.
Il n'en reste pas moins que Kandinsky est un des plus grands, qu'on soit fan ou pas...
A voir, à voir absolument : une telle concentration de beauté, de couleurs, de joie tout simplement, c'est à ne pas rater dans une vie !

Fragment 2 pour composition VII, 1913, Buffalo.

mardi 28 avril 2009

Havre de paix : le musée Delacroix

Si un jour vous vous trouvez par hasard (ou pas) sur la jolie place Furstenberg, derrière l'église Saint Germain des Prés, entrez au n°6 !
Vous passerez sous un vieux porche, puis vous vous trouverez dans une mignonne cour pavée. Sur la droite, une porte donne sur un escalier : montez ! Il vous mène au joli petit Musée Delacroix.
Découvrez alors la maison où l'artiste a passé une grande partie de sa vie et de sa création, et où il est mort.
Déambulez dans de jolies pièces décorées de meubles Premier Empire, et prenez plaisir à regarder les toiles des peintres anglais qui ont marqué la route artistique de Delacroix.
Et surtout surtout, ouvrez la porte qui mène sur le jardin et sur l'atelier qu'il s'était fait construire pour peindre tranquille. Si vous y allez un jour de joli temps, en descendant vers l'atelier, vous sentirez le lourd parfum des glycines en fleurs...
L'atelier est beau, le rêve de tout artiste. Lumière, espace, inspiration. De jolis dessins du peintre sont exposés, et d'autres peintures montrent qui l'a influencé.
Le jardin est un petit morceau de romantisme suranné, en plein coeur de Paris. Asseyez-vous sous les arbres, et écoutez le calme...
Voir du beau en découvrant les coins secrets de Paris, voilà le programme de l'été !
Je vous raconte bientôt mes autres "découvertes"...

Guimard dans Chéri !

Avis à tous les amateurs de Guimard, et à ceux qui étaient venus à la visite sur Guimard dans le 16e arrondissement !!
Le dernier film de Stephen Frears, tiré de l'oeuvre de Colette, Chéri, met en scène le monde des courtisanes au début du XXe siècle.
Léa, maîtresse du fameux Chéri, de beaucoup son cadet, est jouée par la toujours trés belle Michelle Pfeiffer.
Et elle vit.... dans l'hôtel Mezzara ! Celui-là même que nous avons vu, 60 rue de la Fontaine et qui a été construit en 1910 pour un industriel du textile, qui lui donne son nom.
Aucune réalité historique donc dans le fait qu'une courtisane ait habité l'hôtel de Guimard, mais il n'en reste pas moins qu'on voit dans le film toutes les beautés de l'intérieur de l'hôtel, qui sont si rarement visibles... Voir des robes 1900 absolument sublimes dans un décor tout aussi sublime de Guimard, ça fait soupirer d'envie...
Alors, rien que pour le plaisir des yeux, courez voir Chéri, qui par ailleurs est un joli film, et une trés belle histoire d'amour.
Amour et Art Nouveau, que demander de plus ??

lundi 27 avril 2009

L'étrange monde de William Blake...

En ce moment, au Petit Palais, très belle exposition sur l'artiste anglais William Blake.
Expo de taille raisonnable et à la muséographie sobre et agréable.
Tout y est fait pour nous faire pénétrer dans le monde de Blake, un monde hanté de flammes, de ciels surnaturels et de personnages fabuleux ou terrifiants...
William était un poète autant qu'un peintre, et on croise de nombreuses citations (en anglais ! du bonheur...) de son œuvre pendant la visite. Et on comprend bien que toutes les gravures qui constituent l'exposition sont intimement liées à cette poésie élégiaque et singulière.
Personnellement, j'ai toujours trouvé difficile d'apprécier les corps torturés de Blake, mais il existe une intensité dans son œuvre, une puissance qui empêche parfois de quitter une gravure des yeux...
Le titre de l'exposition, qui qualifie le peintre de "visionnaire", est tout à fait juste, et la modernité de son imagination n'est dépassée que par la virtuosité et le lyrisme de son pinceau.

dimanche 5 avril 2009

Du pop au Palais

Edith Scull 36 times, Andy Warhol, 1963, Fondation Warhol

La semaine dernière, je profite de ma carte du Louvre qui est mon sésame à moi pour aller voir "Le grand monde d'Andy Warhol" au Grand Palais. Attention, on ne comprend le jeu de mots du titre qu'une fois dans l'expo : ce ne sont que des portraits, et de grandes personnalités... Alors ceux qui n'aiment que les soupes Campbells, s'abstenir !!
Les autres, un conseil : allez faire un tour.
Je ne suis pas une fan de Warhol, j'ai toujours trouvé ça divertissant, mais franchement limité comme expression artistique et au niveau du sens.
Mais là j'avoue qu'en sortant, j'étais un peu déstabilisée (un bon point pour l'expo !). Je ne sais pas quoi penser de cette série de portraits. Ils commencent en 1962 avec la série Marilyn, si connue. Puis Warhol continue, il a trouvé une technique, la sérigraphie, qu'il exploite longtemps et avec grand succès. C'est le nouveau portrait officiel à la mode. L'expo classe les portraits en différents types : les stars, les princes et princesses, les artistes, les grands hommes, les hommes riches...
On pourrait vraiment penser qu'ils se ressemblent tous, ces portraits. Mais non. Bien sûr leurs couleurs changent, mais les textures, les poses, les jeux divers sont des variations qui rendent vivant chacun d'eux... Et cette vie qui les caractérise est aussi un paradoxe.
Reste qu'au delà de ça, je n'ai pas compris, je n'ai pas réussi à saisir, à donner un sens à tout ça. J'ai bien pressenti qu'il y avait quelque chose derrière, de plus profond que des portraits de stars en rose et vert fluo, mais quoi ? Derrière le côté paillettes, qu'est-ce que Warhol a voulu dire ? Car malgré tout, ces portraits semblent cacher une angoisse sourde. Celle de l'artiste peut être, fasciné et horrifié à la fois par la mort, qui chercherait à l'éloigner en immortalisant en série ? Ou peut être est-ce celle d'une société tout entière qui cherche son sens, qui a perdu son chemin au milieu des changements fous qui la transforment ? Se raccrocher à un portrait pour ne pas disparaître dans une société de consommation qui écrase les individus... Et là réside le paradoxe avec l'apparence même de ces portraits : ils sont vivants, colorés, joyeux parfois. Mais il reste toujours une tension, un malaise presque morbide qui se dégage de cette galerie... Je ne peux pas aller plus loin, je cherche encore. Mais si j'y retourne et que je trouve le sens que je cherche, je vous le dis, promis !

lundi 23 mars 2009

Petit coup de foudre

Claudie Laks, Sans titre, août 2006
Vendredi, Salon ArtParis sous la verrière du Grand Palais. Quelques trés belles choses, quelques choses difficilement regardables, beaucoup de chinois et d'italiens, du bon, du beau, du mauvais, et.... Claudie Laks. Une peintre qui m'a mis du soleil dans les yeux et le coeur avec deux peintures. Une trés grande de bien 3m sur 2, dans les tons pastels, et une plus petite et plus vive en couleurs.
Je n'ai pas trouvé les photos, mais je vous mets deux autres toiles de cette artiste, qui donnent une idée de ce que j'ai aimé. J'espère qu'elles éclaireront votre journée comme elles ont éclairé la mienne. D'ailleurs elles continuent encore aujourd'hui... Ce n'est pas grandiose, c'est un peu de couleurs, un peu de joie et ça fait sourire !

Claudie Laks, Entrelacs, septembre 2007

lundi 2 mars 2009

Finesse et brusquerie : la Grande Martha

Toujours au même concert de ce soir : Concerto pour piano et orchestre n°1 en ut majeur op. 15 de Beethoven par le même orchestre et avec..... Martha Argerich !
Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà entendu Martha Argerich avant ce soir, où alors il y a longtemps. Il est incroyable de voir le contraste qu'elle porte en elle. Elle a une finesse de jeu parfaite, exquise parfois, puissante à d'autres moments, ses mains ondulent et volent sur le clavier, elle donne au mouvement lent du concerto une douceur, une sensibilité... Elle s'accorde avec l'orchestre avec des fondus, comme au cinéma. Elle me fait pleurer.
Puis à l'instant où elle a posé sa dernière note, elle saute de son tabouret et se jette quasiment au cou du chef d'orchestre et s'exclamant ! Puis quand elle revient pour un bis, elle balance son mouchoir en tissu sur le piano, se précipite au piano et se lance dans le morceau sans même respirer, presque brutalement... Elle salue abruptement, fait des commentaires aux violons, puis s'en va sur un coup de tête !
En une seule personne : une sensibilité artistique fascinante, une dextérité technique rare, et une brusquerie, un manque d'élégance complet. L'essence du génie ?

12 minutes...

12 minutes. C'est le temps qu'il ma fallu pour découvrir, être convaincue et aimer Ligeti !
Première expérience ce soir à Pleyel. L'Orchestra d'ell'Accademia Nazionale di Sante Cecilia de Rome jouait le Concert Românesc, daté de 1951.
En quatre mouvements, l'affaire était pliée : j'ai aimé la sensibilité, les solos si élégants et la douceur du larghetto. Puis j'ai aimé l'humour, le rythme enlevé et le côté sautillant de l'allegro vivace. J'ai apprécié l'étrangeté et l'aspect lointain de l'adagio ma non troppo, avec ses traces de Stravinski. J'ai ri au presto poco sostenuto, car Ligeti nous fait passer d'un moment d'angoisse sourde, où le bourdonnement des cordes nous oppresse, à une danse roumaine joyeuse et drôle !
L'orchestre et le chef d'orchestre, Antonio Pappano, étaient parfaits. Tous les musiciens suivaient au millième de seconde, avec finesse et intelligence, et le premier violon était brillantissime. Au final, pas un couac, pas une erreur (audible en tout cas..). Parfait pour une introduction à un nouveau compositeur.
Bien sûr, il va me falloir approfondir tout ça... Le Concert Românesc ne suffit pas.
Mais il n'est reste pas moins que j'ai été fascinée, émue et touchée pendant 12 minutes intenses, sans pouvoir arracher mon regard de la scène, et tant de bonheur en si peu de temps, grâce à la musique, c'est assez rare pour que je remercie Ligeti et l'orchestra d'ell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia !

mardi 24 février 2009

Catharsis bollywoodienne : non au snobisme !

Parler de Bollywood à un amateur de cinéma, c'est comme parler de Viollet-le-Duc à un puriste du Moyen-Age : des cris, des injures, et surtout un mépris profond.
Ce post a pour but lui aussi de crier - sans doute moins d'injurier - et de mépriser les snobs, ceux qui se refusent du plaisir pur et direct sous prétexte d'intellectualisme.
Bollywood est un cinéma d'une importance sociétale, économique et culturelle fondamentale pour un pays qui prend tous les jours une place plus grande dans le monde, l'Inde.
Un Bollywood en Inde, c'est toute la famille qui s'y retrouve, on amène ses coussins, son diner, sa boisson. Oui, tout ça, car un Bollywood dure au moins 3h... Et pour avoir vu un Bollywood dans une salle où se trouvaient des Indiens, j'ai pu entrevoir le phénomène qui se déroule durant le film. A chaque chanson, chorégraphie, tout le monde se lève, tape dans ses mains, reproduit la chorégraphies au bout de quelques minutes, et chante. Une authenticité du plaisir et un sincérité des sentiments absolument impossibles à trouver dans une salle de cinéma française. Oui, on rit, parfois on verse une larme, mais ca ne va que rarement plus loin. Le cinéma est passé d'un moment d'émotion pure à un moment comme un autre, où la règle veut qu'on soit à distance de ce qu'on voit.
Pourquoi ?? Pourquoi bouder un plaisir immédiat ?? Ne devenons pas tous téléramiesques, c'est à dire intellos et difficiles à contenter...
Dans un Bollywood, quand le héros voit l'héroine pour la première fois, les violons jouent, elle est de dos, puis elle se retourne en faisant bouger ses cheveux comme dans une pub de shampoing, tout est au ralenti... A chaque moment d'émotion, le vent souffle dans les cheveux des personnages. A chaque moment joyeux ou amoureux, le couple danse sur des sommets de montagnes, en chantant son amour...
Chaque Bollywood a une morale, simple, principalement sur les valeurs de la famille et de l'amour. Mais la morale n'est pas le but, comme c'est toujours le cas dans les films européens (le cinéma hollywoodien est beaucoup plus proche du bollywoodien qu'on ne le croit). Je l'ai dit : le plaisir est le but. Celui de la musique, de belles actrices, de beaux acteurs, de jolies chansons, de belles histoires d'amour, des chorégraphies drôles et jolies (pas toujours, mais souvent).
Un Indien vit devant un Bollywood, il réagit, il ressent, il bouge. Bollywood est l'équivalent de ce qu'était pour nous le théâtre il y a encore quelques centaines d'années : un lieu d'expression et de partage. Bien sûr, tous les Bollywoods ne sont pas bons, certains sont ringards, d'autres de seconde zone, d'autres trop longs, d'autres ridicules...
Mais il n'en reste pas moins qu'un Bollywood est une catharsis, un moment pur d'émotions au premier degré. Bollywood, c'est la nouvelle agora : un théâtre de sentiments et de comédie humaine.

Bruges : frites et Renaissance

Week-end à Bruges. Quel dépaysement !
J'étais loin de penser que la découverte de Bruges me ferait tant voyager.
A trois heures de Paris, Bruges est un autre monde, celui du Nord, qui s'ouvre à moi, parisienne et française jusqu'au bout des ongles, pour la première fois.
Tout est différent : les couleurs, l'architecture, les gens, la culture, les plaisirs...
Tout est rose, la brique est partout, qui crée un univers pastel et charmant.
Tout est ancien. Et pas ancien du XIXe siècle, comme c'est le cas à Paris. Mais ancien du XVIe siècle, voire avant... Sur les maisons, des plaques de pierre gravées marquent 1452, ou 1556 !
Tout est en parfaite unité, du centre aux alentours. Mais l'unité a sa diversité bien sûr, car chaque maison est différente de sa voisine, et les toîts en escalier créent un vallonnement, des variations douces à l'oeil du promeneur...
Tout sent la frite et quand Brel chantait "ça sent la bière de Londres à Berlin", j'ai pu changer un peu les paroles : "ça sent la frite, de Bruges à Bruxelles"... Car oui, au delà de tout cliché, Bruges sent la frite, et la gauffre, et si le chocolat ne sent pas, on salive à chaque vitrine de chocolaterie, et elles sont nombreuses...
Tout est petit, vu du beffroi, vu de 88m de hauteur, après 366 marches...
Tout est paisible. Dans certains coins de la ville, on entend seulement les oiseaux et les fers des chevaux sur le pavé, on se sent transporté loin, dans le temps et l'espace. Retour à la Renaissance flamande telle que je me l'imaginais...
Tout est joli, sous le soleil. Tout est suranné, vieux rose, charmant, étonnant, apaisant...
Tout n'a pas perdu de son authenticité, comme à Carcassonne ou ailleurs. Tout est vrai, tout est là. Il semble vraiment que le temps s'est arrêté au XVIIe pour ne plus avancer, et que rien n'a changé. Tout est immobile à Bruges...
Une jolie parenthèse, une balade salutaire dans le temps !

jeudi 5 février 2009

Depuis le premier rang... (de la Salle Pleyel)

Depuis le premier rang, hier soir, j'ai d'abord entendu le Cantus in memory of Benjamin Britten d'Arvo Pärt, daté de 1977.
Depuis le premier rang, je me suis laissée enrouler, envelopper, envoûter par les vagues sonores de Pärt, par la montée en puissance progressive de l'orchestre, par l'explosion du son, ses envolées, je suis entrée dans la musique, j'étais au coeur de l'orchestre...
Depuis le premier rang, j'ai découvert la Sinfonia de Requiem de Britten, de 1940, j'ai bien senti l'angoisse sourde du début, j'ai entendu le tragique du Lacrymosa, puis j'ai ressenti la colère de Dieu dans le Dies Irae, dans la cavalcade des instruments, et je me suis laissée surprendre par les douces mélodies du Requiem final...
Depuis le premier rang, j'ai écouté la Messe en ut mineur de Mozart.
Depuis le premier rang, j'ai vu la soprano devenir toute rouge quand elle a lancé son contre ut, j'ai vu le ténor chantonner les mélodies du choeur, j'ai vu le basse soupirer d'ennui quand il ne chantait pas, j'ai vu la seconde soprano lancer des regards d'envie à la première, j'ai vu une altiste rigoler en plein morceau quand son voisin de pupitre s'est planté dans le rythme, j'ai vu que les violonistes ont un métier très physique, mais j'ai vu aussi le chef d'orchestre Paavo Järvi parler à son orchestre avec ses mains, j'ai eu des vibrations dans le ventre quand la soprano chantait, j'ai frissonné quand le choeur a atteint toute sa puissance...
Depuis le premier rang, je suis rentrée dans la vie de l'orchestre, dans sa complexité, dans ses difficultés, dans ses complicités, dans sa dynamique. Depuis le premier rang, j'ai appris plein de choses, j'ai donné une réalité physique à la musique que j'aime tant entendre. Depuis le premier rang, j'ai brisé un peu du rêve, du mythe, mais je ne le regrette pas...

mardi 27 janvier 2009

De la contemplation chez Rothko

Suite et fin de mes émerveillements londoniens...
Grande expo Rothko à la Tate en ce moment. Le titre complet est "Rothko : The Late Series". L'expo présente effectivement les séries qui datent des années 1950, jusqu'à 1970.
Par exemple la pièce 3, immense, reconstitue une série de toiles destinées au Four Seasons de NY, pour lequel Rothko avait réalisé 30 toiles. 7 sont exposées ici, et l'effet est saisissant.
On entre dans un univers parallèle. Cette salle est la preuve vivante que la phrase (souvent entendue) "Rothko, c'est toujours pareil", est fondamentalement fausse. Tout change ici, de tableau à tableau : le format, les formes représentées, les motifs, les couleurs, les matières, les atmosphères... On passe d'un orange vif à un violet pâle, d'un rouge sang à un noir profond.
Et Rothko sait jouer avec notre regard, avec le visible et l'invisible. Les formes qu'il peint sont mouvantes, elles disparaissent quand on s'éloigne, mais réapparaissent quand on fait un pas vers la gauche. Tout ça vibre et vit.

Mark Rothko, "Red on marron", mural section 4, 1959, Tate Gallery.

Souvent encore, on entend des gens se demander "à quoi ça sert Rothko ?". Il faut aller au-delà de la première impression, avec ce peintre. Il ne suffit pas de passer devant un Rothko pour en comprendre l'essence. Il faut s'installer, se placer bien devant, et se jeter dedans. Une toile de Rothko, c'est une surface de contemplation, une immensité de méditation et d'apaisement possible. Mais c'est aussi un risque à prendre, une chute, qui nous amène loin du tableau justement. Car dans le tableau, quand on est "rentré" dedans, il y a nous. C'est une peinture introspective, que celle de Rothko, et elle nous ramène à nous-mêmes, de façon profonde et parfois angoissante. Dans les salles suivantes sont exposés des tableaux noirs. Bien sûr, ils ne sont pas vraiment uniquement noirs, se plonger dedans quelques secondes suffit à nous faire découvrir leur complexité, leurs couches, leur profondeur. Mais devant ces tableaux, on sent beaucoup : on sent de la violence, de la puissance, de la peur... Et dans la série des "Black on Grey", c'est une impression d'infini, d'illimité qui nous touche.

Mark Rothko, "Number 1", 1964, Kunstmuseum, Bâle.

Regarder un Rothko, c'est une plongée dans l'inconnu, c'est à la fois un aveuglement et une illumination. Et c'est de toute façon une expérience personnelle incroyable, que cette expo que je vous conseille, permet magnifiquement.

De la muséographie, Chapitre II

Suite de mes impressions londoniennes.
Visite mercredi de la British Gallery du Victoria and Albert Museum.
Cette galerie sur deux étages est consacrée aux arts décoratifs anglais, du XVIe à la toute fin du XIXe siècle.
Je ne vais pas parler de goût ici, ou de qualité des objets exposés, même si elle est certaine. Mais de ce qui sera un jour (j'espère) une partie de mon métier : la muséographie. J'en ai déjà parlé, et j'avais donné une "définition". J'ai pu, en allant en Angleterre, comparer deux approches. Et j'ai bien du me rendre à l'évidence : l'Angleterre est en avance, ô désespoir des chauvins !
Peu de monde dans la galerie avec moi, mais j'ai remarqué que les gens qui y étaient y restaient longtemps, prenaient leur temps, traînaient, écoutaient, lisaient, regardaient...
En effet, tout est présent ici : non seulement on peut y voir, mais on peut y entendre, et on peut y toucher ! Des systèmes d'écouteurs permettent d'écouter de la musique des instruments exposés, où des commentaires de professionnels sur telle ou telle period room, il y a des échantillons de matières, tissus ou essences de bois, il y a des écrans tactiles où chacun peut créer son motif d'indienne (toile de coton imprimée), ou lire des informations... (Voir les photos de médiocre qualité que j'ai prises). On peut s'y asseoir, ce qui est une des conditions d'une bonne visite. Il y a une salle de projection avec des films sur différents thèmes liés aux arts décoratifs et au goût anglais à travers les siècles.
Les informations sont de qualité, claires, simples, mais fournies pour qui veut en savoir beaucoup plus.
Et enfin, la British Gallery est la réalisation de tous mes idéaux muséographiques !! J'ai trouvé là tout mon musée imaginaire, mis en place exactement comme je le voudrais !
Tout d'abord, l'ensemble est chronologique, ce qui permet de découvrir les évolutions et de comparer (la comparaison est une des pierres angulaires de la muséographie telle qu'on la conçoit de nos jours). on avance dans le temps en découvrant différents aspects. Puis il n'y a pas ici que des meubles, il y a des objets, des peintures, des costumes, des reconstitutions, des instruments de musique... La vision est globale, pluridisciplinaire, complète !
J'y suis retournée le lendemain, pour vérifier si je n'avais pas rêvé mon musée parfait, mais la galerie était toujours là, et je vous la conseille chaudement !

Un sentiment anglais

Séjour de 5 jours à Londres. J'en rentre avec tant d'impressions, d'idées, d'images...
Échantillon de sensations :
J'ai été dans 3 musées, et cette histoire de gratuité de tous les musées donne une sensation étrange de liberté et de démocratie. Ce n'est pas tant de ne pas payer (étant étudiante en art, je ne paie jamais mes entrées dans les musées), mais c'est d'entrer librement. Il n'y a pas de contrôle, pas de passage obligé, chacun vient passer un moment ici où là, discuter, se poser, voir une ou deux oeuvres, ou passer la journée. Mais on s'y sent chez soi, on n'y est pas impressionné, on n'a pas peur d'entrer, d'avancer... Ce qui est loin d'être le cas au Louvre, ou à Orsay, ces "monstres", si riches mais si intimidants !
Ici, cette liberté si simple qui nous est offerte m'a donnée l'impression que les oeuvres sont une propriété de tous, un bien commun à l'humanité que chacun a le droit de partager. Un sentiment d'universel... Simplement de faire partie de cette communauté d'humains qui créent et admirent, qui aiment ou n'aiment pas ! Je ne veux pas paraître sentimentale ou trop idéaliste, et ces ressentis dont je parle ne sont pas venus instantanément durant mes visites. Mais petit à petit, je me suis sentie incroyablement à l'aise à la Tate Modern, au Victoria and Albert Museum ou à la National Gallery, libre d'entrer et de sortir, de revenir ou pas, de ne faire que passer ou de rester deux heures devant "Evening Star" de Turner, de me perdre dans les salles et les couloirs, et de me retrouver en voyant un Sisley ou un Kandinsky...
Une belle expérience, car contrairement à ce que mon cursus pourrait faire croire, je ne me sens que très rarement à l'aise dans les musées, et si j'ai un plaisir immense et insatiable à regarder du beau, cela ne suffit pas...
Mais mon aventure anglaise m'a confirmée qu'un musée peut être une "home sweet home", mais un "home sweet home" commun à tous !